Souveraineté alimentaire et contrôle des ressources naturelles

Souveraineté alimentaire et contrôle des ressources naturelles

Introduction

Depuis toujours, « [l]es relations qu’entretiennent les femmes et les hommes avec la terre et la mer sont complexes et transcendent les espaces dont ils dépendent pour vivre. En plus de constituer des moyens de production, les terres, les océans, les fleuves, les forêts et la nature dans son intégralité, représentent la base-même de la vie et de l’identité ; ils remplissent une fonction sociale, environnementale, culturelle et spirituelle ».[55] Les paysan∙ne∙s, les peuples autochtones,[56] les éleveur∙euse∙s, les pêcheur∙euse∙s à petite échelle et les autres petit∙e∙s producteur∙rice∙s d’aliments, entre autres, se réfèrent parfois au terme « territoire » pour souligner que toutes les ressources naturelles et leurs utilisations sont interconnectées dans les réalités de leur vie et de leurs moyens de subsistance pour la réalisation de leur droit humain à une alimentation et une nutrition adéquates (RtFN). Il est donc impossible de séparer la terre, la pêche, les semences et les forêts les unes des autres, ou des communautés qui les gèrent[57] Ces ressources sont essentielles à la réalisation de la souveraineté alimentaire, qui est définie comme « le droit des peuples à une alimentation saine, dans le respect des cultures, produite à l’aide de méthodes durables et respectueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles ».[58] La souveraineté alimentaire implique le droit des peuples à participer à la prise de décision et à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles.

Depuis la crise alimentaire mondiale de 2008, le monde a été témoin d’une nouvelle vague d’accaparement des terres et des ressources, entraînant de nouveaux niveaux de concentration des ressources naturelles entre les mains d’acteurs puissants. Cette situation a également entraîné des niveaux sans précédent de marginalisation, de dépossession, d’expulsion et de destruction des modes de vie des communautés locales, souvent des paysan∙ne∙s, des pêcheur∙euse∙s à petite échelle, des éleveur∙euse∙s et des peuples autochtones. Les entreprises agro-industrielles transnationales et multinationales et d’autres opérations extractives/industrielles (exploitation minière, infrastructures, etc.) jouent un rôle colossal dans ces dépossessions, souvent aidées par les États et les banques de développement qui les dissimulent sous le langage « attirer les investissements », « créer un environnement favorable aux investissements privés » et « assouplir les réglementations pour attirer les investisseurs en vue du développement économique et de la création d’emplois ».[59] La crise mondiale qui sévit depuis 2008 a également mis en lumière le rôle croissant que jouent les acteurs et les marchés financiers pour alimenter la dépossession, la destruction des écosystèmes et les violations des droits humains qui en résultent. Ils opèrent par le biais de réseaux d’investissement opaques, de paradis fiscaux et de centres offshore, cherchant ainsi délibérément à obscurcir leurs opérations et à éviter toute réglementation et toute responsabilité.[60]

 

Obligation des États

Les États ont l’obligation de respecter le droit à la terre et aux ressources naturelles en reconnaissant et en respectant les droits coutumiers et les biens communs naturels et en s’abstenant de procéder à des expulsions forcées ou à toute pratique ou activité qui détruit ou compromet arbitrairement l’accès existant à la terre et aux ressources naturelles, leur utilisation et leur gestion. Les États ont l’obligation de protéger le droit à la terre et aux ressources naturelles en empêchant des tiers (par exemple des individus, des groupes, des sociétés) d’interférer avec la jouissance de ce droit. L’obligation de protéger comprend, par exemple, l’adoption de mesures législatives et autres nécessaires et efficaces pour réglementer les tiers et les sanctionner lorsqu’ils encouragent ou participent à des expulsions forcées, dépossèdent les femmes de leurs droits, empiètent sur les droits coutumiers ou polluent et détruisent les ressources naturelles. Les États ont l’obligation de mettre en œuvre le droit à la terre et aux ressources naturelles, par exemple en mettant en place une réforme agraire et/ou aquatique lorsque des individus et des communautés vivent dans la pauvreté en raison d’un manque ou d’un accès insuffisant à la terre et aux ressources naturelles. Cela peut nécessiter de donner la priorité à l’attribution de terres publiques, de plans d’eau, de pêcheries et de forêts aux groupes marginalisés, en particulier lorsque ceux-ci leur ont été illégalement retirés. Dans le contexte du changement climatique et de la perte rapide de biodiversité, les États sont également tenus de garantir la restauration et l’utilisation durable des terres et des autres ressources naturelles, protégeant et renforçant ainsi les systèmes de gestion foncière des personnes et des communautés.

Liste de mots-clés

  • Accès et contrôle des ressources naturelles
  • Réforme agraire
  • Agroécologie
  • Agro-toxiques
  • Biodiversité
  • Changement climatique
  • Droits collectifs/systèmes de gestion foncière
  • Biens communs
  • Entreprises
  • Droits coutumiers/systèmes fonciers
  • Technologies numériques/registres numériques
  • Écosystèmes
  • Expulsions
  • Activités extractives
  • Investisseurs financiers
  • Pêche
  • Souveraineté alimentaire
  • Forêts
  • Consentement libre, préalable et éclairé
  • Justice de genre
  • OGM
  • Peuples autochtones
  • Production alimentaire industrielle
  • Droits de propriété intellectuelle
  • Terre
  • Éleveurs et éleveuses
  • Paysans et paysannes
  • Accaparement des ressources
  • Restitution
  • Semences/systèmes de semences
  • Pêcheurs et pêcheuses à petite échelle
  • Droits/systèmes fonciers
  • Connaissances, pratiques et innovations traditionnelles
  • Eau et cycles de l’eau
  • Femmes

Instruments principaux

  1. CDESC, Observation générale n° 12 sur le droit à une alimentation adéquate : Le droit à une alimentation adéquate (Art. 11)
  2. Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP)
  3. Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP)
  4. CEDEF, Recommandation générale n°34 sur les droits des femmes rurales
  5. Directives volontaires du CSA pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale
  6. Directives de la FAO pour assurer une pêche durable à petite échelle dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté
  7. Convention n°169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux
  8. Convention sur la diversité biologique (CDB)
  9. Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ;
  10. Convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontaliers et des lacs internationaux (Convention sur l’eau). Articles 3, 4, 5, etc.
  11. CCNUCC : Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
  12. Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l’objet d’un commerce international. Articles 6, 11, 12, 13 et 14.
  13. Convention de Stockholm sur les pollutions organiques persistantes (POP). Articles 10, 11, 12.
  14. Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone. Articles 4a, 4b, et 5.

Questions directrices

Gouvernance des ressources naturelles

    • Existe-t-il des dispositions constitutionnelles et/ou d’autres dispositions légales pour respecter, garantir et faire appliquer le droit à la terre, à l’eau et aux autres ressources naturelles, en particulier pour les paysan∙ne∙s, les peuples autochtones, les pêcheur∙euse∙s artisanaux∙ales, les éleveur∙euse∙s et les autres groupes ethniques et marginalisés ?
    • Les mesures existantes visant à respecter, protéger, garantir et promouvoir les droits fonciers légitimes sont-elles effectivement mises en œuvre de manière non discriminatoire, et donnent-elles la priorité aux groupes susmentionnés et aux autres groupes marginalisés ?
    • Les politiques nationales d’extraction existantes (en particulier autour de la gouvernance des ressources du sous-sol) entravent-elles l’accès et le contrôle des communautés sur leurs terres, forêts, pêcheries, ressources en eau, biodiversité et autres ressources naturelles ?
  • Par exemple, lorsqu’une société minière pollue les ressources en eau de la communauté, détruit les organismes aquatiques, déverse des déchets sur les forêts et les pâturages ou sur les terres agricoles, entraînant la perte de récoltes ?

    • Quelles mesures sont en place pour reconnaître et protéger les droits et systèmes de propriété foncière collectifs et/ou coutumiers ?
    • Quelles sont les mesures en place pour garantir les droits légitimes sur les terres, les pêcheries et les forêts publiques, y compris celles utilisées et gérées collectivement (« les biens communs« ) ?
    • Comment des questions telles que l’indemnisation adéquate, la réinstallation et la restitution sont-elles protégées par des dispositions constitutionnelles et juridiques ? La notion d' »utilité publique ou d’intérêt public » est-elle définie par la loi ?
    • Existe-t-il des programmes et des mécanismes accessibles, transparents, participatifs et sensibles à la dimension de genre pour contrôler efficacement les résultats de la gouvernance des terres et des ressources naturelles associées, afin de parvenir à la souveraineté alimentaire, à l’éradication de la pauvreté, au développement rural durable et à la stabilité sociale, entre autres ?
  • En particulier, celles détenues en vertu des régimes fonciers des peuples autochtones et des autres communautés ayant des régimes fonciers coutumiers.

  • Quelles sont les mesures en place pour éviter la violation des droits fonciers légitimes qui ne sont pas actuellement protégés par la loi, des femmes, des paysan∙ne∙s, des peuples autochtones, des pêcheur∙euse∙s artisanaux∙ales, des éleveur∙euse∙s, des groupes ethniques et d’autres groupes marginalisés ?

    • Existe-t-il des contradictions entre les lois et les cadres régissant la gestion des ressources naturelles, la propriété foncière, l’agriculture, la pêche et les cadres régissant d’autres secteurs tels que les activités extractives, l’exploitation minière, le commerce, la protection de l’environnement et le changement climatique, entre autres ? Quels sont les mécanismes en place pour résoudre les contradictions existantes afin de garantir la cohérence des politiques fondées sur les droits humains ?
    • Existe-t-il des initiatives visant à favoriser la collaboration avec les autorités autochtones et autres autorités coutumières, notamment en renforçant les droits fonciers des femmes et en instaurant une justice de genre au sein des systèmes fonciers coutumiers ?
  • Des mesures sont-elles également en place pour réglementer, contrôler et obliger à rendre des comptes les acteurs non étatiques, tels que les sociétés et/ou les investisseurs financiers qui opèrent dans le secteur foncier ?

  • Existe-t-il des projets de loi ou des lois qui limitent l’accès et l’utilisation de l’eau par les communautés rurales ou urbaines, en particulier pour les producteur∙rice∙s d’aliments dans les villages ou dans d’autres communautés ethniques ?

  • Des mesures sont-elles prises pour protéger les personnes vulnérables (par exemple les orphelins et les ménages dirigés par des enfants) contre la perte de leurs droits fonciers et de leur accès aux ressources naturelles ?

  • Quels sont les mécanismes en place pour garantir que les femmes, les paysan∙ne∙s, les pêcheur∙euse∙s artisanaux∙ales, les peuples autochtones, les éleveur∙euse∙s, les groupes ethniques et les autres groupes marginalisés ont un accès effectif à la justice ?

    • Quelles mesures sont en place pour garantir que les processus d’identification, de démarcation et d’enregistrement des droits fonciers sont non discriminatoires (y compris par le biais des technologies numériques), transparents et assurent la participation effective de tous les titulaires de droits, en particulier des personnes marginalisées, en tenant compte des déséquilibres de pouvoir existants entre les différents acteurs ? Les droits de propriété sont-ils enregistrés de manière à garantir leur accessibilité et leur adéquation socioculturelle (y compris dans le contexte des registres numériques) ?[61]
    • Les communautés pastorales nomades et les populations des zones forestières ont-elles le droit d’utiliser les itinéraires traditionnels (transhumance) ? Ces dispositions sont-elles effectivement mises en œuvre ?
    • Les petit∙e∙s producteur∙rice∙s de denrées alimentaires, y compris les paysan∙ne∙s, les peuples autochtones, les éleveur∙euse∙s, les pêcheur∙euse∙s à petite échelle et travailleur∙euse∙s de la pêche, les travailleur∙euse∙s agricoles et les groupes ethniques peuvent-ils s’organiser librement en associations pour défendre leurs droits sur les ressources naturelles ?
    • Quels mécanismes garantissent la participation effective des organisations sociales aux processus politiques, en particulier des organisations paysannes, des peuples autochtones, des éleveur∙euse∙s, des pêcheur∙euse∙s artisanaux∙ales (et de travailleur∙euse∙s de la pêche), des travailleur∙euse∙s agricoles et des groupes ethniques ? Ces mécanismes tiennent-ils compte des déséquilibres de pouvoir existant entre les différents acteurs ?

Semences et biodiversité

    • Quelles sont les mesures en place pour respecter, protéger, soutenir et promouvoir la conservation et l’utilisation durable des terres, des pêcheries et des forêts ainsi que de la biodiversité végétale et animale par les paysan∙ne∙s, les petit∙e∙s pêcheur∙euse∙s, les éleveur∙euse∙s et les peuples autochtones, en particulier les pratiques et systèmes de production et de gestion agroécologiques et biodiversifiés ?
  • Les systèmes de semences et les pratiques de gestion distinctes des paysan∙ne∙s et des peuples autochtones sont-ils reconnus et protégés par la loi ? Existe-t-il des politiques et/ou des programmes publics soutenant les systèmes de semences et les pratiques de gestion collective des semences des paysan∙ne∙s et des peuples autochtones ?

    • Existe-t-il des mesures pour reconnaître et protéger les connaissances, pratiques et innovations traditionnelles des peuples autochtones, de l’agriculture à petite échelle, de l’élevage, de la pêche artisanale, etc. ?
    • Les droits aux semences des paysan∙ne∙s et des peuples autochtones sont-ils limités par les droits de propriété intellectuelle, en particulier leurs droits de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre les semences qu’ils sélectionnent dans leurs champs (les « semences de ferme »), notamment en ce qui concerne les semences issues de variétés protégées ?
    • Quelles sont les mesures en place pour interdire ou réglementer l’utilisation des OGM, y compris les organismes développés par les nouvelles biotechnologies, afin d’éviter les risques pour la santé humaine, l’environnement et les écosystèmes ?
  • Quelles mesures sont en place pour faire face aux risques découlant de l’utilisation de technologies émergentes, telles que le séquençage numérique de l’information génétique et l’édition de gènes ?

    • Les cadres juridiques autorisent-ils les brevets sur les séquences génétiques ?
    • L’utilisation des pesticides et autres agrotoxiques est-elle réglementée et surveillée, afin d’éviter les risques pour la santé et l’environnement ?
  • Respectent, protègent et promeuvent-ils les droits et les pratiques de gestion des peuples autochtones, des paysan∙ne∙s et des autres personnes et communautés qui ont une relation particulière avec la biodiversité et les écosystèmes et en dépendent pour leurs moyens de subsistance et leurs modes de vie ?

    • Les cadres politiques et juridiques existants reconnaissent-ils la contribution des petit∙e∙s producteur∙rice∙s alimentaires à la lutte contre le changement climatique ?
    • Existe-t-il des réglementations sur la protection des pollinisateurs naturels (abeilles, etc.) indispensables à la pérennité de la gestion des semences par les paysan∙ne∙s et les peuples autochtones ?
    • Existe-t-il des mesures pour soutenir et promouvoir la protection et/ou la régénération des cycles naturels de l’eau et de la structure des sols (par exemple, les sols tourbeux) ?
    • Existe-t-il des réglementations, des mécanismes de suivi et d’application complets et inclusifs pour assurer la prévention de la dégradation des terres, de la déforestation et de la pollution de l’eau, des sols et des écosystèmes par les activités extractives, y compris l’utilisation de pesticides et d’autres produits agro-toxiques ?
    • Existe-t-il des dispositions créant des zones de pêche accessibles uniquement à la pêche artisanale, ou d’autres mesures visant à la protéger de la pêche industrielle ? Quelles sont les réglementations mises en place pour éviter les dommages écologiques causés par l’aquaculture ?
    • Les dispositions environnementales concernant la prévention de la contamination des terres, des eaux et des écosystèmes sont-elles appliquées ?
    • Quelles sont les mesures en place pour réglementer, contrôler et responsabiliser les acteurs non étatiques, tels que les entreprises qui s’engagent ou investissent dans des activités susceptibles de causer des dommages environnementaux, y compris les investisseurs financiers impliqués dans le financement de ces activités (banques, fonds d’investissement, compagnies d’assurance, etc.) ?
    • Quelles sont les mesures en place pour garantir le consentement libre, préalable et éclairé (CLIP) des peuples autochtones et d’autres communautés, y compris les paysan∙ne∙s, les éleveur∙euse∙s, les pêcheur∙euse∙s artisanaux∙ales, entre autres, lorsque leurs semences, leurs espèces, leurs écosystèmes et leurs ressources ainsi que leurs connaissances, pratiques et innovations traditionnelles sont accessibles, collectées ou utilisées ?
  • (par exemple, par l’introduction d’OGM et de maladies étrangères)

  • (par exemple, exigences en matière de certification, mesures phytosanitaires, etc.)

  • Existe-t-il des programmes de recherche agricole collaborative qui impliquent les petit∙e∙s producteur∙rice∙s sur un pied d’égalité avec les chercheurs à tous les niveaux (conception, mise en œuvre et suivi), garantissant que les résultats de la recherche leur profitent ? Des ressources financières adéquates sont-elles mises à la disposition de la recherche agricole publique, et existe-t-il une transparence concernant le (co-)financement privé de cette recherche, y compris des garanties pour éviter la domination de la recherche par les intérêts des entreprises et les conflits d’intérêts ?

Accès aux marchés et technologies numériques

    • Existe-t-il des politiques visant à soutenir les marchés locaux et territoriaux ? Dans l’affirmative, respectent-elles et garantissent-elles l’accès des communautés aux ressources naturelles ?
    • Existe-t-il des mesures pour soutenir les chaînes d’approvisionnement alimentaire courtes et la commercialisation de produits par le biais de relations directes entre producteur∙rice∙s et consommateur∙rice∙s, comme l’agriculture soutenue par la communauté (ASC) et d’autres types de partenariats solidaires?
    • L’accès de la petite production alimentaire aux marchés locaux est-il subordonné à l’utilisation de modèles de production spécifiques ?[62]
    • Existe-t-il des politiques, programmes ou autres mesures favorisant l’utilisation des technologies numériques dans le contexte de l’alimentation et de l’agriculture ? Ces mesures tiennent-elles compte des droits, des réalités et des besoins de la petite production alimentaire, ou encouragent-elles la production alimentaire industrielle ?

Discrimination

    • Les femmes et les autres groupes fréquemment discriminés ont-ils le droit d’hériter et de posséder des terres et d’autres biens, indépendamment de leur statut marital ?
    • Existe-t-il des mesures visant à reconnaître et à protéger les droits et systèmes fonciers coutumiers, en particulier ceux des groupes marginalisés, tels que les minorités/groupes ethniques, les peuples autochtones, les Dalits, etc. ?
    • Les femmes ou d’autres groupes marginalisés souffrent-ils d’exclusion ou de discrimination dans l’exercice de leurs droits sur les ressources naturelles ?
    • Existe-t-il des mécanismes permettant aux femmes, aux paysan∙ne∙s, aux peuples autochtones, aux pêcheur∙euse∙s, aux éleveur∙euse∙s et à toutes les communautés rurales de participer de manière informée et efficace à la formulation, à l’adoption, à la mise en œuvre et au suivi de toutes les politiques qui les concernent, y compris les politiques agraires, commerciales, minières et de développement rural, en tenant compte des déséquilibres de pouvoir existant entre les différents acteurs ?
    • Les cadres politiques et juridiques dans le contexte de l’agriculture et des semences sont-ils discriminatoires (de jure et/ou de facto) à l’égard des semences et des systèmes semenciers paysans et autochtones, au profit des semences industrielles ?
    • Quels sont les mécanismes en place pour promouvoir la justice de genre et traiter les situations de discrimination à l’encontre des femmes ou d’autres groupes marginalisés dans le cadre du droit coutumier ou des systèmes de gestion foncière, dans le but de favoriser la collaboration avec les autorités coutumières ?
    • Les cadres juridiques et réglementaires existants reconnaissent-ils les droits spécifiques des peuples autochtones tels qu’ils sont consacrés par la Convention n° 169 de l’OIT et l’UNDRIP ? Les droits des peuples autochtones à leurs territoires ancestraux et à un consentement libre, préalable et éclairé pour tout projet affectant leurs territoires et leurs terres traditionnelles sont-ils respectés ?

Où trouver des réponses

  • Ministères nationaux, comme ceux de l’agriculture et du développement rural, des terres, de l’eau et des mines, de l’environnement et de la protection de la nature, de la recherche scientifique et de l’innovation, du commerce et de l’investissement, des questions de genre et des minorités. Informations supplémentaires sur les politiques, directives, programmes et rapports.
  • Institut national des statistiques. Registres nationaux des terres et des forêts, sites web gouvernementaux consacrés à l’assouplissement des réglementations, à l’attractivité des entreprises et à la création de zones économiques spéciales. Tous ces éléments vous permettront d’obtenir des statistiques de base utiles pour mettre en évidence l’ampleur d’une violation.
  • Les organisations qui représentent la petite production alimentaire, les travailleur∙euse∙s agricoles et alimentaires, les peuples autochtones, les femmes, les groupes ethniques aux niveaux national et local.
  • Les journalistes d’investigation qui ont réalisé des reportages sur le sujet en question. Ils disposent parfois d’informations et de statistiques supplémentaires qui renforceront votre rapport.
  • Les organisations de la société civile partageant les mêmes idées et œuvrant pour la justice sociale (par exemple, leurs rapports et informations sur les sites web).

Souveraineté alimentaire et contrôle des ressources naturelles

Sariaya - Renversement de la réforme agraire et son impact sur le RtFN de la petite agriculture

Les populations paysannes sans terre et la petite agriculture des Philippines célèbrent traditionnellement le 10 juin comme la journée de la réforme agraire aux Philippines. En 1988, le programme global de réforme agraire (CARP) a été promulgué pour promouvoir l’équité et la justice sociale et redistribuer les terres en vertu du principe « la terre au laboureur » de la Constitution. À ce jour, 4,8 millions d’hectares de terres ont été distribués à environ 3 millions de bénéficiaires de la réforme agraire. Si beaucoup ont pu en bénéficier, les registres officiels ne mentionnent pas ceux qui ont ensuite perdu leurs terres réformées, par le renversement de la fameuse réforme. Les petit∙e∙s paysan∙ne∙s de Sariaya en font partie. La municipalité de Sariaya, située dans la province de Quezon, est une municipalité agricole de première classe, couvrant une superficie totale de 24 631 hectares. Selon le ministère de la réforme agraire, plus de 98 % de l’objectif de distribution des terres (6 263 hectares) ont été couverts par le CARP et distribués à 5 073 familles rurales. La redistribution des terres à Sariaya a été complétée par des services de soutien, notamment des routes reliant les exploitations aux marchés, des entrepôts, des séchoirs solaires pour la riziculture, un comptoir commercial et les formations nécessaires, qui ont véritablement permis aux paysan∙ne∙s d’utiliser leurs terres et de réaliser leur droit à l’alimentation et à la nutrition. Au fil du temps, Sariaya s’est transformé en un panier alimentaire, répondant aux besoins alimentaires diversifiés et nutritifs de millions de Philippin∙ne∙s, non seulement dans la province de Quezon, mais aussi dans les provinces du sud de Tagalog, dans la région de Bicol et à Manille. Dans les dix ans qui ont suivi la redistribution, le taux de pauvreté a chuté de façon spectaculaire et Sariaya est devenu un véritable exemple de réussite, donnant de l’espoir et encourageant de nombreuses personnes qui continuaient à lutter pour leur accès à la terre. Cependant, ces acquis de la réforme sont en train de disparaître, continuellement menacés par des tentatives d’annulation de la redistribution des terres à l’aide d’une ordonnance de zonage obsolète, qui reclasse les utilisations agricoles en utilisations non agricoles.

Deux cas de révocation, l’un dès 2004 et l’autre en 2013, ont déjà affecté une centaine de familles paysannes. Dans le dernier cas, en novembre 2020, la Cour suprême a rejeté de manière définitive une motion déposée par 255 paysan∙ne∙s pour reconsidérer une résolution de tribunal inférieur de juin 2018, qui favorisait l’ancien propriétaire foncier pour exempter les terres déjà réformées du CARP. La décision de la Cour suprême menace gravement le droit à l’alimentation et à la nutrition de 255 paysan∙ne∙s et de leurs familles, ainsi que de nombreux autres dont les dossiers d’annulation de CLOA (Certificate of Land Ownership Award) sont actuellement en attente à différents niveaux des processus juridiques. À ce jour, un total de 349 familles paysannes cultivant un total de 680 hectares de terres ont été dépouillées de leurs titres par des décisions d’exemption de terres déjà réformées. À l’heure où le pays connaît une grande insécurité alimentaire et une faim croissante, enregistrant un taux record de 20 % en 2020 en raison de l’impact combiné des confinements liés à la Covid-19 et de la destruction d’une grande partie de la production agricole par une série de typhons violents, l’annulation de la réforme agraire dans des régions comme Sariaya qui fournissent de la nourriture à des millions de personnes, ne fera qu’éroder davantage la capacité du pays à se nourrir dans les années à venir.