Introduction [3]
La notion de systèmes alimentaires fait référence au réseau d’acteurs, de processus et d’interactions impliqués dans la culture, la transformation, la distribution, la consommation et l’élimination des aliments,[4] ainsi qu’aux résultats sociaux, économiques et environnementaux que ces activités génèrent.[5]
Une approche holistique des systèmes alimentaires se concentre sur la manière dont ces divers processus interagissent ensemble, et plus largement avec les contextes[6] environnemental, social, politique et économique qui leur sont propres, tout en reconnaissant le rôle particulier que jouent les relations de pouvoir, de genre et intergénérationnelles dans ces processus. Elle reconnaît également la complexité des relations des systèmes alimentaires avec d’autres secteurs et systèmes (comme les écosystèmes, les systèmes économiques, socioculturels et de santé).[7]
Les systèmes alimentaires affectent le droit à une alimentation et à une nutrition adéquates dans toutes ses dimensions, de la disponibilité et l’accessibilité des aliments à leur caractère adéquat (par exemple, culturel, sécuritaire, nutritionnel). Les droits des paysan∙ne∙s aux ressources naturelles, les droits des travailleur∙euse∙s à des salaires décents et à une protection sociale, et les droits des enfants à une alimentation saine, sont tous intrinsèquement liés au système alimentaire. La manière dont les systèmes alimentaires sont façonnés – de la graine à l’assiette – est donc essentielle pour la réalisation du droit à l’alimentation et à la nutrition et des droits connexes.
Le système alimentaire industriel dominant et son mode de production agro-industriel – basés sur la monoculture, des niveaux élevés d’intrants chimiques et des semences commerciales – sapent le RtFN de multiples façons et jouent un rôle central dans la faim et la malnutrition.[8] Dans l’ensemble du système alimentaire des entreprises, les personnes, les animaux et la nature sont exploités pour maintenir des coûts bas et maximiser les profits. Le système pousse à l’homogénéisation des régimes alimentaires et à la consommation de produits alimentaires ultra-transformés très rentables (« la malbouffe »), avec des effets néfastes sur la santé des personnes et la biodiversité de notre planète. Les variétés locales de plantes adaptées aux conditions locales, ainsi que les connaissances sur la façon de les cultiver et de les préparer pour une nutrition optimale, disparaissent. Dans le même temps, le changement climatique, l’écodestruction et l’accaparement des ressources naturelles liés au système alimentaire des entreprises privent les communautés à la fois de leur capacité à cultiver leur propre nourriture et de leur souveraineté alimentaire.
La nécessité de transformer les systèmes alimentaires pour les rendre plus sains et plus durables n’est plus à démontrer depuis plusieurs années. Malheureusement, ce débat manque généralement d’une perspective fondée sur les droits humains, sans prêter attention aux problèmes liés au système alimentaire des entreprises. En conséquence, on préconise des solutions de surface et, surtout, au sein même du système alimentaire des entreprises, au lieu de chercher à s’en éloigner. Ironiquement, comment transformer significativement les systèmes alimentaires si les mêmes entreprises qui sont à l’origine des pratiques d’exploitation les plus néfastes et constituent le système alimentaire industriel sont systématiquement invitées à contribuer aux débats de politique publique sur la manière d’améliorer le système ?
Pendant ce temps, les petit∙e∙s producteur∙rice∙s alimentaires, qui produisent la plupart des aliments dans le monde tout en prenant soin de la planète, et les autres groupes les plus touchés par la faim et la malnutrition, ont été largement exclus des débats sur les politiques publiques et leurs solutions ignorées ou négligées. Cela est particulièrement vrai pour l’agroécologie[10], qui décrit un large éventail de pratiques préservant l’environnement et les connaissances traditionnelles, protégeant et favorisant la biodiversité et la résilience et cherchant à changer les relations de pouvoir établies. Bien qu’elle soit reconnue en théorie et en pratique comme un élément essentiel de la transformation des systèmes alimentaires, on considère encore trop peu l’agroécologie, souvent décrite comme « une solution parmi d’autres » plutôt que la voie à suivre pour rendre les systèmes alimentaires sains, durables et justes. En ce sens, la gouvernance des systèmes alimentaires – qui a son mot à dire dans l’élaboration du système – est au cœur de la transformation des systèmes alimentaires.
Les obligations des États
Les États ont l’obligation de façonner les systèmes alimentaires de manière à ce qu’ils contribuent – et ne portent pas atteinte – à la réalisation du droit à l’alimentation et à la nutrition et des droits connexes. Ils doivent veiller à ce que les politiques et les programmes liés aux systèmes alimentaires – comme l’agriculture, l’environnement, l’alimentation et la nutrition, le travail et le commerce – soient cohérents et favorisent les droits humains dans toutes leurs dimensions et dans l’ensemble du système alimentaire. Un programme de repas scolaires, par exemple, ne devrait pas se limiter aux objectifs nutritionnels et de santé des élèves, mais chercher en même temps à protéger l’environnement et à améliorer les moyens de subsistance des petit∙e∙s producteur∙rice∙s alimentaires (par exemple, en achetant des aliments produits de manière durable à des prix équitables auprès des petit∙e∙s producteur∙rice∙s locaux). De même, les efforts visant à accroître l’accès des « consommateur∙rice∙s » à des aliments sains ne doivent pas simplement consister à rendre ces aliments moins chers, cela entraînant des effets néfastes sur les paysan∙ne∙s et les travailleur∙euse∙s qui dépendent de prix et de salaires équitables pour réaliser leur propre droit à l’alimentation et à la nutrition. Les interventions sur les systèmes alimentaires doivent donc adopter une perspective holistique, prenant en compte tous les impacts sur l’ensemble du système alimentaire. Elles doivent s’appuyer sur les expériences des personnes les plus touchées par la faim et la malnutrition et accorder une place centrale à leurs besoins et à leurs droits. Il s’agit notamment des travailleur∙euse∙s (voir le module sur les droits des travailleur∙euse∙s), des peuples autochtones et des communautés rurales, dont les paysan∙ne∙s et autres producteur∙rice∙s (voir le module sur la souveraineté alimentaire), des femmes (voir le module sur les droits des femmes), et des enfants, des adolescents et des jeunes, entre autres.
Une approche de la gouvernance des systèmes alimentaires basée sur les droits humains implique que les groupes les plus affectés par la faim et la malnutrition ont l’espace et les moyens pour participer de manière significative à la conception de politiques publiques et à leur mise en œuvre. Elle exige en même temps des garanties efficaces de protection contre l’influence de l’industrie alimentaire et de ses groupes de pression dans l’élaboration des politiques publiques. Lorsque des plateformes multipartites sont en place, elles doivent clairement distinguer et garantir les rôles appropriés des différents acteurs participants (les détenteurs de droits par rapport aux groupes ayant un intérêt commercial), en en remédiant aux différences de pouvoir.De solides mécanismes de reddition de comptes sont également essentiels pour défendre l’intérêt public et garantir l’alignement des politiques publiques sur les droits humains. Les systèmes alimentaires sont souvent façonnés par des facteurs qui dépassent les frontières nationales, notamment les règles internationales en matière de commerce et d’investissement, le changement climatique et la pollution environnementale. Par conséquent, la mise en œuvre des obligations extraterritoriales en matière de droits humains joue un rôle essentiel pour garantir des systèmes alimentaires fondés sur les droits humains. La réglementation des sociétés transnationales est une composante fondamentale de ce processus.